Une année de douze mois est une combinaison entre quatre saisons s’enchaînant parfaitement les unes aux autres. Chaque début de saison est un moment précieux duquel il nous est possible de se donner une résolution. Ce n’est pas quelque chose de strictement réservé au Jour de l’An.
Automne
Automne 2010, assise à la cafétéria du collège pour l’heure du diner, avec mes amies, l’appétit ne vient pas.C’est vrai qu’avec le peu de micro-ondes disponibles contre le nombre élevé de filles dans ce collège, il fallait courir dès que la cloche annonçant midi sonnait pour s’assurer une place afin de réchauffer notre repas. Ce qui fait que la plupart du temps, mes repas, qui devaient être chauds, étaient mangés froids. Je serai plus tard en mesure de faire une gestion plus adéquate de mes priorités. J’ai pris conscience à ce moment précis que manger est l’activité la plus pratiquée par l’être humain. L’impression qu’être un humain est défini qu’en mangeant.
Je suis anorexique ni boire ni manger est concevable pour moi.
À l’école ça allait, personne ne me surveillait pour m’obliger à manger. À la maison, papa et surtout maman insistaient pour que j’assiste à tous les repas et que je vide le contenu de mon assiette. Mon excuse la plus souvent utilisée était que je n’avais pas faim. Comme je me privais de manger, mon appétit était réduit et donc je n’avais vraisemblablement pas faim. C’était affreux! Se priver soi-même, parce que notre apparence physique n’est pas comme nous la voulons et être forcée de manger par ses pairs… Ils ne pouvaient pas comprendre. Je me disais qu’ils ne comprendraient d’ailleurs jamais et que personne n’allait pouvoir réellement comprendre ce que je ressentais devant de la nourriture.C’est aussi banal que ça. J’avais l’impression que si je mangeais un fruit, dans ma tête, j’allais devenir obèse et que je m’en voudrais pour le reste de mes jours d’avoir avalé cet aliment. Manger n’était plus une option pour moi, je ne me l’autorisais plus. Penser nourriture, en entendre parler, le cœur me levait.
Photo : Futura-Science
Hiver
Au dîner de Noël chez mes grands-parents maternels, j’ai avalé quatre bouchés au repas. C’était suffisant pour moi, puisque je le voyais comme inutile, parce qu’en conséquence, j’allais grossir. Au repas des Fêtes chez mes grands-parents paternels, je m’étais donné comme mandat de manger en bonne et due forme, afin que personne ne m’interroge sur la raison qui me poussait à ne pas manger. J’ai mangé une pointe complète de tourière, accompagnée de patates pilées, une portion régulière. Quelle honte! Manger alors que je ne me le permettais pas.C’était inadmissible. Immédiatement après le repas, je me suis précipité dans le sous-sol, place où j’avais calculé que si je m’y rendais pour utiliser la salle de bain, personne ne me poserait de question. Effectivement, personne ne se doutait que je n’allais pas bien. J’ai régurgité toute la nourriture que je venais d’ingérer. Mon corps était devenu extrêmement fragile. Absorber une si grande quantité de nourriture était devenu inexistant.Au retour des fêtes, me voyant tranquillement dégrader un de mes amis m’avait suggéré d’aller voir un éducateur à mon école, afin que celui-ci puisse m’aider. Un avant-midi, je me suis donc présentée sans m’annoncer à son bureau complètement désorientée. Prise dans ce perpétuel combat vacillant entre détresse physique et psychologique qui me rongeait intérieurement depuis plusieurs semaines. Heureusement, il était disponible. Ouf! Le pire était fait. Prendre conscience du mal-être qui m’habitait était déjà un grand pas pour moi. Si seulement j’avais su ce qui m’attendait.
Photo : Reader DigestJe lui ai mentionné que je venais le voir parce que j’avais un problème, que je ne mangeais plus. Il m’a répondu le sourire aux lèvres qu’il le savait, que par le simple fait de me voir marcher dans les couloirs avec mes amies, il savait que j’avais arrêté de manger et que je souffrais d’anorexie. A-N-O-R-E-X-I-E! Le temps venait de s’arrêter net. Un terme qui aura d’irréversibles percussions. Plongée dans une introspection me répétant en boucle : impressionnant qu’il ait pu remarquer que j’avais maigris par le simple fait de me croiser dans les couloirs de l’école. Son ton de voix calme, mais inquiet m’a ramené tout doucement sur terre.L’interrogatoire s’est enchainé :
Pourquoi avoir arrêté de manger ?
Quelles étaient mes raisons ?
Qu’est-ce que les autres avaient de plus ou de moins que moi ?
Était-ce quelqu’un qui m’avait fait une remarque sur quelque chose affectant mon estime qui m’aurait déplu ?
Depuis combien de temps j’avais subitement arrêté de manger ?
Est-ce que boire faisait encore partie de ma vie ?
Photo : Top SantéCherchant à travers les brumes, derrière lesquelles je me réfugiais, Luc a tout de même réussi à me faire parler de mon mal-être. À travers mes larmes, mes sanglots, mes chuchotements inaudibles. L’heure a passé en un fragment de secondes. En sortant de son bureau, mon défi était de retourner là où avait commencé plus tôt mon trouble alimentaire. M’asseoir et commencer à manger.
L’appétit ne peut pas revenir comme elle est partie. Fais simplement l’effort de t’asseoir tranquille à la table et manger un peu. Force-toi pour avaler quelques bouchées de ton repas et ensuite je veux que tu reviennes me voir pour me dire comment tu te sens.
Luc a sa façon bien à lui pour faire comprendre les choses aux adolescents. Je venais de faire un immense pas vers la guérison d’un trouble alimentaire.
Printemps
En parler à quelqu’un en qui j’avais totalement confiance. Les jugements me faisaient trembler de peur, tellement j’avais honte. J’étais brisé. L’anorexie, je le voyais comme un acte unilatéral. Un geste commit une fois, mais qui s’attache et qui reste collé pour le reste de ta vie à ton corps. Un geste mal calculé, mal organisé ou tout simplement posé au mauvais moment, pour brimer la bataille d’un ciel trouvé mal étoilé par moments. Une simple façon de prendre le contrôle sur le peu que je pouvais contrôler, mon alimentation.
Été
Depuis l’intervention de Luc, je me porte mieux. Jamais je ne pourrais avoir une saine relation avec les aliments, les séquelles restent multiples, mais je m’accroche au fait de savoir que je ne suis pas seule, que des ressources existent.Si vous souffrez d’anorexie ou quelqu’un de votre entourage en souffre, nous vous encourageons à prendre contact avec ANEB.
* Ce texte n’a pas été rédigé par La Rouquine, il s’agit d’une collaboration spontanée d’une lectrice du blogue qui désirait partager son histoire de façon anonyme.Vous êtes intéressé à faire de même (anonymement ou non) ? Écrivez à La Rouquine au [email protected]